30 janvier • 05 juin 2011
Commissariat : Fabienne Grasser-Fulchéri, assistée de Charlotte Masse
Artistes : Vincent Dulom, Jean Dupuy, Dominique Figarella, Roland Flexner, Bernard Frize, Aurélie Godard, Benoît Lemercier, Joseph Marioni, Carissa Rodriguez, Alison Rossiter, Cédric Teisseire, Thomas Vinson.
"Je nie l’accidentel" Jackson Pollock
Cette exposition propose de porter un autre regard sur des formes plastiques considérées la plupart du temps comme le fruit d’un “ratage”, d’une action et d’un geste non maîtrisés : la tache, la coulure, l’éclaboussure…
Liées à la pratique picturale ces formes sont souvent associées dans la vie quotidienne à une notion d’impureté, à des traces que l’on doit faire disparaître, que l’on souhaite dissimuler… Faire des taches est considéré depuis la plus tendre enfance jusqu’à l’âge adulte comme un acte reflétant un manque de maîtrise de soi, une agitation intérieure débordante qui se répercute visuellement et s’incarne dans un objet “souillé” : l’habit, le sol, la page…
Ces petits accidents que nous nommerons ici incidents sont généralement le fruit du hasard. Ils surviennent malencontreusement et nous échappent, nous obligeant à intégrer cet événement, à "rectifier le tir" ou plus radicalement à recommencer, à repartir de zéro pour tenter d’obtenir un résultat conforme à nos souhaits originels.
Cette exposition réunit des travaux d’artistes ayant érigé la tache ou la coulure au rang de motif à part entière, de sujet résultant non pas du hasard ou de l’accident mais d’une démarche rationalisée, l’aboutissement d’un processus préalablement établi. La problématique rejoint ainsi l’un des fondements de l’Art Concret en plaçant au cœur du projet l’idée de la construction mentale, du processus, du jeu avec l’aléatoire tout en prenant le propos à rebours d’un point de vue formel.
Le motif de la tache ou de la coulure s’apparente en effet à première vue à une abstraction lyrique, à une gestualité et à une expressivité bien éloignées des présupposés de l’abstraction géométrique. La subjectivité qui s’incarne dans la touche du peintre, qui le relie à un style et définit jusqu’à son identité est généralement nié.
Dans cette exposition, la tache, la coulure ou l’éclaboussure deviennent des exercices de style à part entière mais les propositions interrogent tout le spectre des possibilités : de la tache la plus impersonnelle à la coulure la plus organique. Ainsi le parcours offre une vision parfois archétypale de la tache comme à travers les œuvres de Carissa Rodriguez, par exemple, qui jouent sur la répétition d’un motif de tache idéalisée.
Les toiles de Benoît Lemercier interrogent différemment un autre paradoxe en mettant en œuvre une composition complexe d’éléments où l’ordre le dispute au chaos. D’autres artistes comme Jean Dupuy tentent de mettre en échec la notion d’aléatoire en transposant et reproduisant ces incidents sur un autre support. Comme un enfant faisant son exercice d’écriture ou un musicien faisant ses gammes, la réédition d’un geste semble se réaliser pour mieux dompter ce qui ne peut se maîtriser.
Cette tension entre le hasard et la maîtrise à travers l’élaboration d’un processus précis se retrouve dans plusieurs propositions comme celles de Bernard Frize, Vincent Dulom ou encore Roland Flexner. Mais au-delà de tout ceci c’est également le corps qui est interrogé et à travers lui la pratique picturale. Dans son travail réalisé in situ, Aurélie Godard établit une sorte de typologie de taches qu’elle a recueillies sur le sol des ateliers de certains peintres. Ces motifs répartis par densité (liquide, semi-liquide, épaisse) et reproduits sur le mur de l’espace d’exposition dessinent une nouvelle géographie où la tache n’existe plus par sa couleur et sa matière mais par son contour.
Pour qu’il y ait tache ou coulure, il faut aussi qu’il y ait pesanteur. Une gravité déterminante avec laquelle les artistes choisissent de composer ou pas, de renverser ou pas comme Cédric Teisseire, Thomas Vinson ou encore Joseph Marioni.
Enfin, ultime pied de nez, certains artistes comme Dominique Figarella ou Alison Rossiter poussent la peinture dans ses moindres retranchements en la questionnant par le biais d’autres médiums comme la photographie par exemple. “Incidents maîtrisés” offre ainsi une lecture dans les marges, celles qui permettent de voir le monde sous un autre angle.